pos : 14°33' nord 053°11' ouest
Pierre
L’ennui: l’ennemi de marin hauturier .Pour éviter ce scorbut mental, à chacun sa technique : certains n’hésitent pas à sombrer dans de stériles activités genre échecs tarot, lecture…moi j’ai développé une technique pratique, pragmatique: je compte ! Voyez plutôt : Lors de mon dernier quart qui a duré 2h2min et 27 sec j’ai relevé ceci : Le loc est passé de 21762 milles à 21782 milles. Le speedo s’est maintenu entre 9.5 et 11. 3 nœuds. Le bateau a fait 8 surfs à 13 nœuds et 2 à 16 nœuds. J’ai vu :1 oiseau,47 poissons volants ,24 sur bâbord,22 sur tribord et un s’est écrasé sur le pont. Nous avons croisé 53 cumulus dont 48 ont donné des surventes et 4 de la pluie. Nous avons pris 1237 vagues dont 13 déferlantes et 5 ont mouillé le pont. Puis 1 coucher de soleil et ensuite j’ai repéré 1galaxie, 2 nébuleuses,19 étoiles filantes,14 constellations, et 1342 étoiles. J’ai donné 2993 coups de barre à gauche et 3853 coups de barre à droite
et vu 11 458 organismes planctoniques phosphorescents. Enfin il reste 2 pinces à linge sur les filières.
Puissant non ?
Bon là j’ai une migraine mais voyez vous, en bateau, moi je ne m’ennuie jamais !
Dominique
La lune est venue depuis peu accompagner nos quarts nocturnes et donne des teintes argentées à la grande houle qui nous arrive par l’arrière inlassablement comme pour mieux nous pousser vers les Antilles qu’on sent approcher désormais. J’ai (re)découvert les bienfaits de la cocotte, c’est fou ce qu’on peut faire dans cette chose aussi élémentaire: du pain, un far breton même, et dont j’ai grande fierté !
Et tant d’autres choses. De quoi convaincre de renvoyer les ustensiles électro-ménagers au musée de l’inutile à mon retour sur terre. Et entre les quarts et la cambuse, a part la lecture, j’ai du voir à peu près les même choses que Pierre, mais j’ai renoncé à les compter, je développe mon coté zen-contemplatif … sauf quand il y a empannage, mais ça n’est pas tous les jours.
Mine de rien, Akela avale les milles de manière impressionnante, ça nous change de nos voiliers habituels. Allez, à vue de nez, c’est ti’punch aux Antilles dans pas longtemps.
François
J’aurais aimé pouvoir écrire : « Lâchement dépossédé d’un record, qui pourtant m’était dû, par la collusion entre un fier marin breton (double pléonasme selon certains, à bord notamment), un voilier à coque jaune dont on sait d’où qu’il vient et une vague scélérate dont le relèvement montre qu’elle vient elle directement de l’embouchure de l’Odet, je suis contraint d’envisager des moyens radicaux pour reprendre mon dû : Grogue du Cap Vert à forte dose pour améliorer ma réactivité à la barre voire gâteau breton qui leste les bas, mais me permettrait peut être, via un effet dit de Culbuto, de faire plonger Akéla plus vite dans le creux de la vague ».
Ce ne sera pas nécessaire. La vie est fade finalement.
Patrick
Moi, aujourd’hui, j’ai appris un grand secret de la voile – et c’est pas du vent : c’est l’amure qui mène le monde ! Notre maître Ioda de la voile (Obiyann Kenobi) a entrepris, avec une patience proche de l’ infini, de me donner quelques rudiments de voile bien utiles comme l’ empannage et le virement de bord (deux termes que je proscrivais jusqu’ ici pour leur connotation sexuelle), les allures et l’amure, donc. « C’est donc comme ça que ça marche ? », ai-je lancé, mutin. Et là, dans l’ œil roscovite de Yann qui, pourtant, en a vu d’autres, j’ai bien cru déceler comme une lueur de désespoir. Promis, Yann, dès mon retour je m’inscris à un stage de formation d’une semaine pour continuer à dégrossir !